Servir et sauver son prochain... oui mais concrètement ?

Thomas Fauré

Le troisième article de la loi scoute est parfois un peu oublié dans nos troupes en France en 2006 et pourtant il est un des fondateurs de notre scoutisme : le scout est fait pour servir et sauver son prochain. En effet, si le scoutisme est évidemment fait pour faire grandir les garçons et les faire devenir meilleurs, il est également fait pour proposer aux adolescents de 12-17 ans un véritable sens à leur vie chrétienne : le sens du service et du don de soi. En ce sens, le scoutisme veut éduquer de vrais citoyens actifs et militants pour la paix.

De nos jours, si on a tant de mal à comprendre cela et à faire de nos troupes de véritables unités de service, prêtes à se mobiliser en cas de besoin, si on a du mal à faire comprendre aux scouts que l’aspect international et tout d’abord européen est si important qu’il vise la « paix universelle » qui n’est plus un mythe, n’est ce pas pour une simple raison : éduquons-nous nos éclaireurs à la bonne action quotidienne avant tout ?

En effet, la bonne action quotidienne est la première obligation du scout et avant de pouvoir prétendre rendre service, il faut découvrir et vivre de cet esprit de service. Encore une fois, Baden Powell nous recentre sur l’essentiel dans son vingtième bivouac d’Eclaireurs : «  Le service du prochain ». Il n’hésite pas et compare directement les éclaireurs aux chevaliers d’antan en Angleterre, notamment le roi Arthur. Une première piste ici : pourquoi ne pas monter son thème d’année autour des chevaliers de la table ronde, thème porteur en aventure et en leçons d’humilité et de service.

B.P. nous propose dans ces pages plusieurs paragraphes traitant en long et en large du service spontané, quotidien : « sacrifice de soi-même, abnégation », « Générosité », « Amabilité », « Politesse », etc.

On pourra noter entre autres à la page 236 :

« Un article de notre loi nous ordonne de rendre chaque jour un service à notre prochain. Il n’est pas nécessaire que ce service soit considérable ; vous aiderez peut-être une personne âgée à porter un fardeau, ou bien vous donnerez un coup de main à l’ouvrier qui tire péniblement sa charrette ou bien encore vous mettrez une pièce dans le tronc des pauvres ? Tous les jours de votre vie, vous devriez faire une bonne action, et dès aujourd’hui, vous devriez commencer à observer cette règle, fermement décidés à ne jamais plus la négliger. »

Il propose même des exercices pratiques à la page 241 :

« 1. Encouragez la bonne action en en parlant au moment opportun (n’exagérez jamais) et en demandant parfois aux scouts ce qu’ils ont pu faire comme Bonnes Actions. Que ceci se fasse sans suffisance. Mais n’oubliez pas que la bonne action est un des traits caractéristiques de notre système.

2. Quand vous sortez avec vos scouts, surveillez leur conduite et plus tard faites allusion aux occasions manquées – sans trop insister toutefois et surtout pas d’un air hargneux.

3. C’est votre propre exemple qui compte le plus.

4. Encouragez les bonnes actions de troupe et de patrouilles.[…]

5. La CDH devrait jouer un rôle très actif dans ce domaine : on peut discuter les bonnes actions à faire : a) par les patrouilles, et b) par la troupe. »

On a ici la règle d’or. Et c’est à ces 5 règles que tout chef éclaireur devrait se rattacher. Je dirai même : l’une sans l’autre n’a pas beaucoup de sens et j’aimerais te proposer des façons concrètes et actuelles d’y répondre.

Tout d’abord la première règle, c’est la plus simple et la plus primordiale : comment espérer que nos garçons puissent faire de bonnes actions sans leur en avoir parlé auparavant et sans les accompagner dans leur démarche ? Le chef éclaireur pourra proposer à chaque garçon de tenir un petit carnet personnel où il note chaque jour sa bonne action. Ce carnet reste personnel et ne doit engendrer aucun signe de suffisance ou d’orgueil. Il restera privé. Si un CP s’aperçoit qu’un de ses garçons se plait à montrer son carnet aux autres, il lui dira immédiatement de le ranger et de ne plus le sortir publiquement. Cependant le chef de patrouille ou le chef de troupe peut demander à un garçon : « qu’as-tu fait aujourd’hui ? » Il ne faut pas avoir peur de cette démarche, bien qu’elle soit délicate et qu’elle ne doit pas devenir systématique, elle est toutefois importante.

Au camp, on pourra imaginer un jeu basé sur la bonne action. Par exemple, chaque patrouille reçoit au début du camp des brins de ficelle avec un nœud par garçon par jour. A chaque fois qu’un garçon fait une bonne action, il défait un nœud sur la ficelle de patrouille. A la fin du camp, la patrouille qui a le moins de nœuds gagne !

L’esprit de service personnel peut s’acquérir relativement facilement chez les garçons en utilisant ces outils géniaux qui sont les étapes de progression personnelle de l’éclaireur. En prononçant sa promesse le scout s’engage à faire de son mieux pour servir et sauver son prochain, pour faire de la bonne action quotidienne sa première obligation. Viennent ensuite les classes qui sont là pour faire progresser le garçon, techniquement et dans l’esprit scout. Notamment la première classe où on demande au garçon d’être un vrai pilier et un exemple pour la troupe. Et enfin l’entraînement et l’engagement raider-scout qui visent le service et veulent le placer en tout premier dans la vie du garçon de 15-16 ans. A cet âge, le jeune garçon a besoin de repères et vous serez étonnés des grandes qualités dévoilées chez nos jeunes !

La règle 2 rappelle au chef de troupe son rôle : celui d’observateur. Cette règle est également à instruire à vos CP qui doivent prendre l’habitude de suivre l’évolution de leurs garçons. Cette attitude va de paire avec la charge d’âme : si j’ai en charge ce garçon, je dois prendre soin de lui. Et c’est pour cela que je suis attentif à ses actions dans une amitié fraternelle, c’est pour cela que je n’hésiterai pas à lui faire part de mes remarques, toujours dans cette amitié scoute.

J’aurais envie de me passer de commentaires sur la règle 3, tant elle est limpide et évidente. Et pourtant… Chef, t’attaches-tu à faire ta bonne action chaque jour ? Tout devrait s’instruire par l’exemple et surtout le service et la bonne action. C’est en voyant leur chef accomplir cette tâche que les garçons s’y mettront aussi car beaucoup d’entre eux ont dans le cœur la volonté de suivre leur chef qui leur fait vivre tant d’aventures et tant de joies.

Enfin les règles 4 et 5 vont de paire et touchent au service commun : de patrouille ou de troupe. Pourquoi ne pas proposer un service par trimestre à chaque patrouille ? Le défi cimes est un bon outil car il intègre un service missionnaire : c’est en rendant service autour d’eux que les scouts sont missionnaires, ils sont missionnaires par l’exemple. A leur âge, pas de longs et faux discours, un garçon de 12-17 ans a besoin d’agir et de se dépenser !

A la première Pithiviers et à la troisième Lorient, nous avons placé, à travers le grand jeu des patrouilles trackers – que tu as pu découvrir dans mon défi 1 – le service et la mission au premier plan. Les patrouilles tracker ont 7 engagements à suivre dont : « rendre un service de patrouille au moins une fois par trimestre. » ceci m’emmène vers un autre point que je voudrais développer : le service de patrouille. Il est tout sauf de l’humanitaire. En effet, une tendance actuelle voudrait que les scouts soient humanitaires… Non, ce n’est pas notre vocation première à l’âge éclaireur. Il est bon de rendre service à des associations humanitaires comme Raoul Follereau, la croix rouge ou la banque alimentaire – et ces associations comptent sur nous ! – mais les quêtes ne constituent pas en elles-mêmes des « services de patrouille » au sens commun où nous devrions l’entendre, elles sont simplement des cas particuliers.

Le service de patrouille ou de troupe doit mettre en œuvre les capacités scoutes que les garçons développent en patrouille, à travers les postes d’action, les brevets, les classes, les techniques (topographie, campisme, scène, etc). Mes patrouilles ont effectué un certain nombre de services depuis le début de l’année comme : le nettoyage d’un bois (déchets, souches, trous à reboucher), d’une fontaine, d’un calvaire, d’une propriété (après une tempête) ; nous avons également creusé des rigoles d’écoulement tout au long d’une route forestière dans une forêt de Bretagne au camp d’hiver ; une patrouille a aidé une famille à déménager, etc.

Mais nous ne nous sommes pas contentés de cela, bien que ce fût déjà quelque chose ! Nous avons souhaité aller plus loin dans l’application du troisième article de la loi en créant un véritable système d’alerte afin de pouvoir répondre en un très court laps de temps à un service, un sauvetage, etc. Nous appelons cela une « alerte tracker ». Nous avons déclenché une alerte tracker au mois d’octobre afin d’organiser en toute hâte un grand jeu pour les AFC de Bretagne qui souhaitaient occuper les 13-15 ans trois jours avant ! Les éclaireurs se sont mobilisés à 80%, ont pris le train le samedi matin et ont monté seuls le grand jeu. Les scouts ont fait jouer ensuite une vingtaine de jeunes l’après midi. Les alertes tracker supposent toute une organisation dans les patrouilles et des entraînements réguliers, notamment l’entraînement à la chaîne d’alerte. J’ai lancé un concours de chaîne d’alerte un soir : moyenne de temps pour passer l’alerte à toute la patrouille : 30 minutes sur 4 patrouilles ! Qui fait mieux ? Cela suppose également que chaque garçon ait un « sac tracker » bouclé chez lui à tout instant afin de ne pas perdre de temps si les conditions l’imposent. Chaque patrouille a une base de patrouille façon raider-scouts, dont nous avons repris les idées principales. Nous avons mis également un système de veille et de surveillance de l’actualité afin de pouvoir réagir en toute circonstance. Le service c’est pouvoir répondre tout de suite de manière efficace, et les garçons le vivent comme un vrai jeu, comme une « aventure vraie » !

Le grand jeu tracker développe également tout l’aspect « progression personnelle », un peu comme l’avait fait Michel Menu en créant les raiders. Chez les trackers, on a une spécialisation des raiders-scouts en raiders-trackers. La progression tracker est basée sur l’humilité dans le service et vient compléter et s’insérer dans la progression technique habituelle en s’appuyant sur une aventure. Mais ce n’est qu’un exemple, tout est possible et le meilleur reste à faire !

Au camp, nous effectuons deux demies journées « service » ou la troupe va rendre un service-défi au propriétaire et à l’extérieur : élagage, fabrication d’un pont, débroussaillage d’un chemin, etc. mais tout doit pouvoir se faire dans le jeu, et c’est au chef scout d’avoir des idées éclairantes : pourquoi ne pas imaginer les raiders de Wingate dans la jungle en débroussaillant le chemin plein de ronces du propriétaire ?

Enfin, chaque « randonnée » de patrouille – c'est-à-dire raid ou exploration – comprend un service à trouver sur le chemin. Je propose également cela lors des raids personnels, que les scouts soient aspirants ou raiders !

Voilà donc quelques moyens concrets dans la ligne droite de nos aînés : Lord Baden Powell, notre chef pour toujours, les raiders-scouts et tous les aventuriers du service, les pompiers, les médecins, les routiers…

Thomas Fauré.

Références :

Eclaireurs – Baden Powell
Aventure Vraie avec les Raiders-scouts – Michel Menu
La loi scoute !