Brownsea : le premier camp scout en 1907

(Article issu de scoutopedia.net)

Le camp expérimental de Brownsea est le tout premier camp scout de l'Histoire. Baden-Powell, en rentrant d'Afrique du Sud, cherche un moyen d'adapter les méthodes du Scouting à l'éducation des jeunes garçons. Il tente une expérience un été de 1907, en réunissant sur l’île de Brownsea, au sud de l’embouchure de la Tamise, 20 garçons de toutes les classes sociales, du au 9 août.

Pourquoi Brownsea ?

Baden-Powell avait besoin d'un lieu où organiser un camp expérimental, pour mettre en pratique les idées qu'il avait retenues et qu'il se proposait de publier dans Scouting for boys. Cependant, le général Robert Baden-Powell était une personnalité, et une telle expérience, si elle avait été réalisée dans un endroit facile d'accès, n'eût pas manqué d'attirer les journalistes et autres curieux, ce qui aurait nuit à l'expérience. Cependant, BP, en vacances en Irlande au mois de mai 1907, y fit la connaissance des époux van Raatle, qui l'invitèrent à leur rendre visite dans leur maison de campagne de Brownsea Island.

Lorsqu'il était enfant, BP avait navigué dans le secteur avec ses frères, sous la conduite de l'aîné, Warington, et ils avaient déjà mis pied sur l'île. De ce fait, il savait que cet endroit, isolé et difficile d'accès, mais suffisamment proche de la civilisation, constituerait l'emplacement idéal pour un tel camp.

Il écrivit donc aux van Raatle, qui répondirent aussitôt qu'il était le bienvenu pour son camp. Ils ajoutèrent même à leur réponse un livret sur l'île, qui acheva de convaincre BP de venir y camper.

Le 29 juillet 1907, le général Baden-Powell, son neveu Donald, et quelques jeunes londoniens embarquaient à Poole, à destination de l'île de Brownsea.

BP écrira à propos du choix de Brownsea :

«Je tenais absolument à m'éloigner des curieux, des reporters et autre "vermine", à un endroit où je pourrais mener mon expérience sans interruption.»

Des journalistes parviendront tout de même à s'informer de l'existence du camp, au point que Baden-Powell dut écrire de Brownsea au Daily Mirror, en promettant de les informer des résultats de l'expérience.

Les garçons

Les garçons réunis par BP venaient de milieux différents : onze d'entre eux étaient des enfants de connaissances de BP, d'un bon milieu et scolarisés dans de prestigieux pensionnats comme Eton, tandis que les dix autres venaient des Boys brigades des quartiers populaires de Bournemouth et de Poole. Si pour les premiers BP n'avait eu qu'à contacter ses amis (dont Saxton Noble, qui financera l'énorme déficit du camp), le recrutement de garçons de milieux populaires, idée révolutionnaire à laquelle BP tenait beaucoup, était plus difficile pour lui. Il délégua donc cette tâche à Henry Robson, capitaine à la Boys Brigade de Bournemouth.

En plus de ces vingt premiers scouts de l'Histoire, BP était accompagné de son neveu Donald Baden-Powell, alors âgé de 9 ans (qui deviendra un célèbre géologue), compté parmis les «officiers» en tant qu'ordonnance de son oncle, et de trois assistants : son vieil ami Kenneth MacLaren, et deux capitaines des Boys Brigades : Robson et George Green.

Baden-Powell répartit les garçons en quatre « patrouilles » : Corbeau, Courlis, Loup et Taureau. Tous reçurent un foulard kaki et un flot en laine, qu'ils placèrent sur leur épaule gauche, d'une couleur différente pour chaque patrouille : rouge pour les Corbeaux, jaune pour les Courlis, bleu pour les Loups et vert pour les Taureaux. Chaque garçon reçut également une fleur de lys de bronze, qu'ils épinglèrent sur leur poitrine ; au cours du camp, ils placèrent en dessous la partie inférieure de ce badge, qui portait les mots «Be prepared».


Baden Powell en instruction

Tableau des effectifs

Patrouille

Nom

Âge

Remarques

Corbeau

Herbert Barnes

16 ans

CP, Pensionnat de Charterhouse

Herbert Collingbourne

15 ans

Boys Brigade de Bournemouth

Humphrey Noble

15 ans

Pensionnat d'Eton

William Rodney

10 ans

Pensionnat. Mort en 1915.

James Tarrant

16 ans

Boys Brigade de Bournemouth. Mort en 1911.

Courlis

George Rodney

15 ans

CP, Pensionnat d'Eton

Terry Bonfield

13 ans

Boys Brigade de Bournemouth

Richard Grant

 

Boys Brigade de Bournemouth

Alan Vivian

15 ans

Boys Brigade de Bournemouth

Bert "Nippy" Watts

17 ans

Boys Brigade de Bournemouth

Loups

Bob Wroughton

16 ans

CP, Le favori de BP. Mort en 1914.

Cedric Curteis

13 ans

Pensionnat de Wellington

Reginald Giles

14 ans

Boys Brigade de Poole

John Evans-Lombe

11 ans

Pensionnat de Cheltenham

Percy Medway

14 ans

Boys Brigade de Poole

Simon Rodney

12 ans

(présence probable)

Taureau

Thomas Evans-Lombe

14 ans

CP, Pensionnat de Cheltenham. Mort en 1994.

Bert Blandford

13 ans

Boys Brigade de Bournemouth.

Marc Noble

10 ans

Pensionnat d'Eton. Mort en 1917.

Arthur Primmer

15 ans

Boys Brigade de Bournemouth

James Rodney

14 ans

Pensionnat d'Harrow

Officiers

Robert Baden-Powell

50 ans

Chef de camp.

George Green

48 ans

Assistant, Capitaine des Boys Brigades

Kenneth MacLaren

47 ans

Assistant

Henry Robson

51 ans

Assistant, Capitaine des Boys Brigades

Donald Baden-Powell

9 ans

Ordonnance de BP

Le dernier garçon de Brownsea à être décédé est très probablement Thomas Evans-Lombe, mais un autre, Terry Bonfield, était toujours vivant en 1989. Quatre des garçons de Brownsea tombèrent au champ d'honneur en 1914-18, et un mourut après-guerre des suites d'une attaque aux gaz. Un autre tomba en opérations en Inde en 1938.

Déroulement du camp

Dès le 1° août, BP forma les patrouilles, et en donna l'entière responsabilité à son CP. Chaque patrouille reçut une tente de l'armée, tandis qu'une cinquième tente était utilisée par Baden-Powell, son neveu Donald et les trois assistants. Le camp comportait également une tente d'intendance militaire pour la cuisine, et un grand marabout ouvert pour s'abriter en cas de pluie.

Programme de la journée

Le programme d'une journée-type du camp de Brownsea était le suivant :

  • 6 h : Réveil au son du Koudou, cor taillé dans une corne ramené par BP de sa campagne de 1896 contre les Matabélés. Toilette, chocolat chaud et biscuits.

  • 6 h 30' : Drill (exercices physiques), sous la conduite de BP.

  • 7 h : Présentation des activités du jour.

  • 7 h 30' : Nettoyage et rangement.

  • 8 h : Défilé, lever des couleurs et prière, puis petit déjeuner.

  • 9 h : Activités scoutes.

  • midi : Baignade (jeux d'eau, avec des canots).

  • 12 h 30' : Déjeuner.

  • 13 h à 14 h : Sieste obligatoire.

  • 14 h 30' : Activités scoutes.

  • 17 h : Thé.

  • 18 h : Petits jeux, concours sur le thème du jour.

  • 20 h : Dîner.

  • 20 h 15' : Veillée

  • 21 h 30' : Extinction des feux et coucher.

Note : l'ordre des activités peut légèrement varier selon les sources, ce qui laisse à penser que rien n'était figé.

Programme du camp

Ce programme est celui qui avait été prévu par BP avant le début du camp. Plutôt qu'un programme précis des activités, il s'agit d'une liste des thèmes pour chaque journée. Comme dans le programme de la journée, on y trouve déja tous les éléments d'un véritable camp scout. On ne sait pas s'il a été scrupuleusement respecté, d'autant plus qu'il ne comporte que 8 jours alors qu'en pratique, le camp en dura 9.

  • 1° jour : préliminaires.

Installation du campement, formation des patrouilles. Un «cours» spécial est organisé pour les chefs de patrouille.

  • 2° jour : campisme

Apprentissage des nœuds, de l'allumage d'un feu, de la cuisine. Construction du mat et de cabanes ; hygiène et santé ; se retrouver en pays inconnu ; initiation au nautisme.

  • 3° jour : observation

Initiation au pistage et aux signes de piste ; exercices d'observation.

  • 4° jour : woodcraft

Étude des animaux, des oiseaux, des plantes, des arbres et des étoiles. Noter les détails de la tenue des gens, savoir en déduire leur caractère et leur condition (et de là savoir comment sympathiser avec eux).

  • 5° jour : chevalerie

L'honneur. Le code des chevaliers. Désintéressement, courage, charité. Loyauté envers le roi et les chefs ; courtoisie envers les femmes. Obligation de la bonne action quotidienne, et comment la faire.

  • 6° jour : sauver des vies

Premiers secours. Savoir tirer les gens de situations comme les incendies, la noyade, les fuites de gaz, les chevaux emballés, les accidents de la circulation, etc. Improviser un bandage.

  • 7° jour : patriotisme

Géographie coloniale. Histoire de l'empire britannique, de l'armée et de la marine. Drapeaux et médailles, devoirs du citoyen, adresse au tir, aider la police, etc.

  • 8° jour : jeux

Sports et jeux, notamment des compétitions en rapport avec les thèmes abordés pendant le camp.

Anecdotes

On raconte qu’un soir, les invités du propriétaire de l’île décidèrent de faire au camp une visite inattendue. Ils n’étaient pas allés bien loin que deux garçons bondirent sur eux d’un fourré voisin et les arrêtèrent. Les prisonniers furent amenés au camp et durent payer la rançon exigée …

Souvenirs de Brownsea

Quelques uns des garçons de Brownsea racontèrent plus tard ce qu'ils y avaient vécu.

En 1929, à l'occasion du troisième jamboree, Donald Baden-Powell écrira :

« Une des premières choses que nous fîmes fut le pistage, car le sable était très bien pour ça. Nous avons appris à distinguer les traces d'un homme qui court de celles d'un homme qui marche, et celles de divers animaux et oiseaux. [...] Un concours fut organisé pour voir quel garçon serait capable de ramasser le plus grand nombre de feuilles, que nous devions aussi dessiner en un temps imparti. Comme ne nous attendions pas à une telle compétition, notre succès dépendit surtout de l'attention que nous avions portée aux arbres devant lesquels nous passions chaque jour ... »

Arthur Primmer, qui restera longtemps impliqué dans le scoutisme, racontera les veillées :

« Baden-Powell nous racontait ses aventures en Inde et en Afrique ... Par une belle nuit d'été, avec lui debout au milieu du cercle, nous racontant ces histoires ... C'était le clou du camp. »

Percy Everett, qui avait aidé BP à préparer le camp et s'occuppait de l'intendance, racontera pour sa part :

« Je le vois encore, tel qu’il se tenait devant la flamme vacillante du feu, silhouette alerte, pleine de joie de vivre, tantôt grave, tantôt gai, répondant à toutes les questions, imitant les cris des oiseaux, montrant comment suivre à la trace un animal sauvage, sortant tout à coup une petite histoire, dansant et chantant autour du feu, ou donnant un enseignement moral, non pas avec des mots, mais d’une manière si fine et pourtant si convaincante que chacun était prêt à le suivre à l’autre bout du monde… »

Arthur Broomfield, le fils d'un des employés que les propriétaires, les van Raatle, entretenaient sur l'île, racontera lui aussi comment il viendra, incidemment, à participer aux activité du camp -que son père lui avait interdit d'approcher- et à se lier d'amitié avec les scouts :

« J'atteignais l'endroit où on pouvait voir le camp, quand j'entendis quelqu'un m'appeller. J'ai regardé en bas de la colline, et j'ai vu un homme, entrain de patauger dans un marais. Comme il venait vers moi, je m'aperçus que ce n'était nul autre que Baden-Powell lui-même ... Après cela, je le revis plusieurs fois, quand je fus invité au feu de camp des scouts, et j'écoutais ses histoires avec toute mon attention. »

Comme chacun le sait, ce coup d'essai deviendra un coup de maître, et cette première expérience sera le point de départ de la propagation du scoutisme.