Baden-Powell, chef scout du monde

C’est le 22 février 1857 que vint au monde, à Londres, Robert Stephenson Smythe Baden-Powell qui devait devenir lord Baden-Powell of Gilwell, Grand-Croix de l’ordre de Victoria, Chevalier de l’ordre du Bain, Grand-Croix de Saint Michel et Saint Georges, Grand Officier de la Légion d’Honneur, titulaire de plus de vingt autres ordres illustres, Docteur honoris causa de plusieurs Universités, ou  plus simplement et plus familièrement « B.P. » (Pi-Pi), comment disent des millions de garçons et de filles et aussi d’hommes et de femmes répandus sur toute la terre.

Robert était loin d’être fils unique, il avait en effet onze frères et sœurs plus âgés que lui.

Son père, pasteur protestant en même temps que savant professeur à l’Université d’Oxford, était aussi célèbre par ses travaux dans les sciences physiques et mathématiques qu’aimé et respecté pour la dignité et le dévouement de sa vie de ministre du Christ.

En plein hiver, une fois terminés ses cours ou ses études, il partait dans la neige et le froid pour rendre visite à ses paroissiens malades ou infirmes qui ne pouvaient venir au temple pour assister au culte. Mais le malheur ne permit pas à l’enfant de profiter longtemps de l’affection et de l’influence de son père. Celui-ci mourut en 1860. Robert avait à peine trois ans. Mme Baden Powell, restée veuve avec de faibles ressources, avait la lourde responsabilité d’élever elle-même ses cinq derniers fils. Elle fut une mère admirable, pleine d’amour et de dévouement et son influence fut immense sur son fils.Celui-ci avait pour elle une débordante affection et un attachement particulier les liait l’un à l’autre.

A cinq ans, Robert commence à aller à l’école où il avoue ne pas avoir étonnamment brillé au début. Mais assez rapidement il comprend que sa mère, restée seule, n’a que peu d’argent et de faibles ressources pour élever ses enfants et qu’il devra faire lui-même son chemin dans la vie. Il se met au travail.

Il réussit à gagner une bourse et entre à l’école de Charterhouse.

Baden-Powell excelle comme acteur et il déclare, d’une façon fort amusante, que c’est à Charterhouse qu’il pratiqua son premier scoutisme grâce à quelques escapades, au cours desquelles il attrapait et faisait cuire des lapins sur des feux de braises, à quelques mètres des surveillants qui ne le découvraient pas !

Mais cela ne l’empêche pas de travailler et de poursuivre brillamment ses études. A la sortie de l’école, il s’agit de se décider. Son désir de voyager et de visiter le monde devient de plus en plus intense que jamais.

Pendant un certain temps il a l’idée de se faire missionnaire et d’aller évangéliser les pays sauvages. Puis il veut devenir acteur et organiser des tournées de représentations, lorsqu’un jour, il lit l’annonce d’un concours ouvert pour des emplois militaires. Sans trop y croire, il essaie sa chance et à sa grande surprise il est reçu ! Il est même reçu d’un si bon rang (2ème sur 700) qu’il est dispensé des stages habituels et qu’on le nomme immédiatement sous-lieutenant.

C’est là que commence ce qu’il appelle sa vie n°I.

* * *

Pour avoir une solde plus forte et pour pouvoir vivre ainsi sans demander d’argent à sa mère, et aussi pour avoir un peu plus d’aventures qu’en Angleterre, il demande à partir aux Indes. On accepte et il est affecté au 13° hussards qu’il rejoint à Luchnow.

Aussitôt il mène une vie fatigante et active. Il n’ignore pas que le climat est dangereux. Pour se maintenir en forme, il vit très sainement en faisant beaucoup d’exercices physiques. Il supprime complètement la tabac et l’alcool et, pour pouvoir boucler son petit budget de sous-lieutenant, il se prive avec bonne humeur de toutes les fantaisies habituelles aux jeunes officiers plus insouciants que lui.

Cela ne l’empêche pas d’obtenir, aussi bien auprès de ses camarades de régiment qu’auprès des gens qui le reçoivent chez eux, des succès de plus en plus grands et de se rendre de plus en plus sympathique : cavalier émérite, chasseur de grande classe, acteur remarquable, convive amusant et plein d’entrain et en même temps officier d’une absolue conscience. Il n’a pas 21 ans, mais malgré son jeune âge il prouve dans le service qu’on ne peut guère lui en remontrer et qu’il sait s’imposer et commander les hommes aussi bien qu’un ancien.

Mais le climat des Indes est mauvais pour ceux qui n’y sont pas entraînés et, malgré ses précautions, Baden-Powell, malade, doit rentrer en Angleterre pour s’y reposer.

Il revient aux Indes en 1880, ayant acquis au cours de son séjour à Hythe le certificat d’officier de tir avec une mention spéciale.

Ce n’est plus alors la vie de garnison. Le 13° hussards occupe une région en état de guerre. Baden-Powell doit rejoindre son unité à la tête de quelques hommes et il exécute là son premier raid de grande envergure en traversant tout l’Afghanistan à cheval. Le voyage dure un mois.

Attaché temporairement à l’état-major du duc de Connaught, il est nommé adjudant-major et promu capitaine.

C’est avec ce grade qu’en 1884 il quitte les Indes en même temps que son régiment pour rejoindre l’Afrique du Sud. C’est alors, en dehors du service, une vie exaltante, de grandes chevauchées, de tournées dans la brousse, de reconnaissances secrètes sur les frontières, de chasses aux bêtes fauves pendant lesquelles le jeune officier étonne les indigènes grâce à ses talents d’observateur et de traqueur de bêtes.

Puis suivant toujours son régiment, il passe deux ans en Angleterre. Mais il y trouve la vie terne et routinière.

Elle ne lui convient guère. Il revient dans le Sud-Africain comme aide de camp au général Smyth.

A cette occasion il participe pour la première fois à une opération militaire sérieuse : la colonne envoyée au secours du commissaire Prétorius assiégé est en danger. L’affaire réussit et le fait remarquer spécialement. Ses succès lui valent un grade de plus : il est nommé major.

Mais le général Smyth, sous les ordres duquel il se trouve en Afrique, est nommé gouverneur de Malte. Il ne veut pas se séparer de Baden-Powell et l’emmène avec lui comme secrétaire militaire. Pendant son séjour dans l’île célèbre, sans perdre un instant, il crée des foyers et des cercles pour les soldats de la garnison.

A ce moment, remarqué par ses chefs pour ses talents d’observateur et d’homme rusé, il est attaché au Service de renseignements et chargé d’accomplir un certain nombre de missions dans des pays étrangers.

Et il se tire de ses missions, chaque fois, un peu plus à son honneur ; il découvre des « trucs » ou des « astuces » qui dépistent toujours les policiers chargés de le surveiller, lui ou sa correspondance, et transmet des renseignements précieux.

Il rentre en Angleterre, rejoint une fois encore son vieux 13° hussards, puis, en 1895, revenu en Afrique du Sud, il est désigné pour faire partie de l’expédition chargée de mettre fin à l’insurrection des Matabelés. Se dépensant sans compter, avec des forces très insuffisantes et des moyens ultra-réduits, mais en appliquant des procédés nouveaux et adaptés à la situation, il arrive à de magnifiques résultats, battant les indigènes sur leur propre terrain et domptant la révolte sans effusion de sang et sans désordre. En récompense, il reçoit le brevet de colonel.

Il prend le commandement du 5° dragons aux Indes, n’y reste que deux ans et, une fois encore, retourne dans cette Afrique du Sud qui, vraiment, l’attire plus que n’importe quelle autre région du monde. Il y fait quelques colonnes lorsque survient, en 1899, la guerre entre l’Angleterre et les Boers.

Baden-Powell, qui commandait à cette époque une zone assez vaste, avait établi son quartier général dans Mafeking qui ne tarda pas à être assiégé par près de 10 000 Boers. Il ne disposait que de 1000 hommes à peine, fort mal équipés et mal armés. Le siège dura sept mois. Mais pendant tout ce temps, son énergie, son ingéniosité et surtout ses inventions extraordinaires et son cran firent merveille.

L’Angleterre suivait anxieusement les nouvelles de la ville isolée. A l’annonce de la délivrance, ce fut une explosion d’enthousiasme et le nom du colonel Baden-Powell fut sur toutes les lèvres. La reine Victoria, apprenant la nouvelle pendant son dîner, écrivit de sa main un chaleureux télégramme de félicitations qui fut immédiatement transmis au glorieux défenseur.

Il n’a que 43 ans. Il est nommé général et, à ce titre, il reçoit la mission d’organiser toute la police sud-africaine. Il se met aussitôt à l’œuvre et emploie des méthodes et des procédés qui sentent déjà fortement la manière scoute.

Nommé inspecteur général de la cavalerie anglaise, il en profite pour circuler sans cesse, visitant les cavaleries étrangères, apportant dans son arme des modifications et des améliorations constantes.

Mais déjà ses pensées sont ailleurs, ce qu’il appelait sa Vie N°I allait bientôt prendre fin.

Dès 1905, il se préoccupe de jour en jour davantage des questions d’éducation. En 1907, il organise un petit camp d’essai, avec 24 garçons, dans l’île de Brownsea.

En 1908, il publie Scouting for boys en fascicules paraissant tous les quinze jours. Le succès est immédiat, bousculant les prévisions de l’auteur.

Des troupes scoutes se forment partout en Angleterre.

En 1909, après une visite en Amérique du Sud, il publie un nouveau livre Jeu Scout puis réunit successivement 11 000 éclaireurs et quelques « éclaireuses » au Crystal Palace de Londres et plus de 6 000 à Glasgow.

En 1910, d’accord avec le roi Edouard VII, il demande sa mise anticipée à la retraite.

Sa vie n°2 commençait.

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Sa vie n°2 ! Elle fut tout entière consacrée au Service. Et ce sont les jeunes qui sont les bénéficiaires de ce service.

On peut penser que la vie d’un officier de cavalerie et l’existence de chef-scout mondial doivent avoir bien peu de points communs. Il n’en est rien. Au cours de sa carrière militaire il s’est préparé par la pratique à devenir un meneur de jeunes. Et le fait qu’il a vu la guerre de près et en a mesuré toutes ses horreurs lui permet, mieux qu’à beaucoup d’autres, de vouloir bâtir la paix.

Le scoutisme prit dès sa création une ampleur considérable. Baden-Powell trouva autour de lui des disciples enthousiastes et fervents. Le roi Edouard VII avait aussitôt compris tout ce que l’on pouvait attendre du Mouvement scout et il avait demandé à Baden-Powell d’organiser un Grand Rallye au mois de juin 1911 dans le parc royal de Windsor.

Mais le roi mourut le lendemain du jour où il avait fait connaître son désir. Son fils George V reprit le projet et la cérémonie fut fixée au 4 juillet.

Ce jour-là, pour la première fois au monde, 33 000 garçons furent rassemblés, tous sous le même uniforme, tous animés du même idéal, tous vibrants d’enthousiasme.

Ce fut, dit Baden-Powell, un des jours les plus émouvants de toute sa vie.

Et avec sa modestie habituelle, le promoteur de ce mouvement qui venait de donner là une première preuve officielle de sa vitalité, en faisant retomber sur d’autres que lui le mérite.

Une graine avait été semée trois années auparavant. Elle avait germé et pris racine et, soignée par d’enthousiastes jardiniers elle commençait à se développer en une plante énorme et qui s’étendait au loin.

Sa vie n°2 se continue par des tournées, des visites, des réunions sur le scoutisme. en 1912, il préside 170 réunions ou conférences (plus de trois par semaine) groupant plus de 70 000 auditeurs !

Il se dépense sans compter, faisant retentir ses appels en faveur des garçons dans tous les pays, aussi bien en Suède qu’au Panama, au Japon, en Australie, comme en Russie ou en Italie. Partout il obtient le plus grand succès et les mouvements scouts se forment un peu partout.

A la déclaration de guerre, en août 1914, il organise la mobilisation des éclaireurs anglais qui, durant tout le conflit, rendent les plus grands services comme garde-côtes, agents de liaison, secouristes, etc…

Puis, pour bien montrer au monde que la guerre n’avait pas tué la fraternité scoute internationale, il organise en 1920 le premier Jamboree.

Et sa vie se mêle toujours plus intimement à la vie même du scoutisme : congrès internationaux de chefs, camps-écoles, visites dans tous les pays, Jamboree de la « majorité » en 1929 où pour les 21 ans du scoutisme il est fait lord par le roi. Chaque fois on le retrouve aussi alerte et aussi gai, donnant le meilleur de lui-même à cet immense mouvement qui groupe maintenant plusieurs millions de filles et de garçons.

Paris et la France le reçoivent à plusieurs reprises et toujours lui réservent un accueil fervent.

Enfin c’est le Jamboree de Vogelenzang, en 1937, où le dernier jour, au milieu d’une émotion générale, il annonce sa décision de se retirer au Kenya, en Afrique du Sud, pour y terminer sa vie.

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Il dut beaucoup souffrir en septembre 1939 quand la guerre éclata à nouveau en Europe. Mais certainement il ne perdit jamais sa foi ni sa confiance dans un avenir de paix et de bonne volonté sur la terre.

Cette confiance avait en lui les racines les plus profondes et les plus solides : c’était sa foi absolue en Dieu.

Sa foi faisait vraiment corps avec toute sa personne, elle participait à toute sa vie, à tous ses projets, à toutes ses résolutions. Il ne pensait pas que le mal pourrait triompher et il croyait de toute son âme que la victoire appartiendrait à Dieu.

Il a uni autour de lui dans une même pensée fraternelle des juifs, des catholiques, des protestants, des gens non religieux. Il a réconcilié des hommes désunis et il a toujours affirmé que c’était conforme à la volonté de Dieu.

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Sa mort elle-même laisse une magnifique leçon de noblesse et de grandeur.

Sachant que les destinées du Scoutisme étaient en bonnes mains, qu’il avait assuré sa succession, simplement, discrètement, il s’en alla vers le pays lointain d’où il savait qu’il ne reviendrait pas !...

C’est au Kenya, en Afrique du Sud, qu’il s’endormit dans la paix de Dieu le 7 janvier 1941.